3
La fierté de Conyberry

 

 

— Voici les fermes que Malchor a évoquées, dit Wulfgar tandis que lui et Drizzt contournaient un bosquet à l’orée de la grande forêt.

Plus loin au sud, une dizaine d’habitations étaient regroupées près de la bordure est de la forêt et environnées sur les autres côtés par d’immenses champs vallonnés.

Wulfgar était sur le point de lancer son cheval en avant quand son compagnon l’arrêta brusquement.

— Ces gens sont un peu frustes, expliqua le drow. Ces fermiers nourris de superstitions innombrables n’accueilleront pas volontiers un elfe noir. Attendons la nuit pour nous y rendre.

— Peut-être pourrions-nous trouver le chemin sans leur aide ? suggéra le barbare, peu enchanté à l’idée de perdre encore une autre journée.

— Nous risquerions fort de nous perdre dans les bois, rétorqua Drizzt en descendant de sa monture. Repose-toi, mon ami. Cette nuit sera fertile en aventures.

— C’est la nuit qu’elle agit…, fit remarquer Wulfgar, qui avait encore à l’esprit les paroles de Malchor concernant la banshee.

Le sourire du drow s’élargit sur son visage.

— Pas cette nuit, murmura-t-il.

Wulfgar décela un rayonnement familier dans les yeux lavande de son ami et se laissa docilement glisser de sa selle. Drizzt s’était déjà préparé à l’affrontement imminent et ses muscles toniques se contractaient déjà d’impatience. Toutefois, malgré la confiance qu’il éprouvait envers les capacités de son compagnon, Wulfgar ressentit un frisson le long de sa colonne vertébrale quand il songea au monstre mort-vivant qui les attendait.

Dans la nuit.

 

***

 

Ils passèrent la journée à dormir paisiblement, à profiter des chants et du manège des oiseaux et des écureuils, qui se préparaient déjà pour l’hiver, et à s’imprégner de la joyeuse atmosphère de la forêt. Cependant, quand le crépuscule enveloppa la région, l’ambiance du bois du Padhiver changea du tout au tout. L’obscurité s’installa trop facilement sous les épaisses branches et le silence régna soudain sur les arbres, un calme inhabituel, suggérant un danger imminent.

Drizzt réveilla Wulfgar et l’incita aussitôt à le suivre vers le sud, sans même prendre le temps d’un léger repas. Quelques minutes plus tard, ils se dirigeaient à pied, tirant leurs chevaux par la bride, vers la ferme la plus proche. Par bonheur, aucun clair de lune n’illuminait la nuit ; seul un examen approfondi révélerait la nature sombre de Drizzt.

— Dites ce que vous voulez ou partez ! exigea une voix menaçante depuis le toit, qui ne culminait pas très haut, avant qu’ils se soient suffisamment approchés de la porte pour y frapper.

Le drow s’attendait à cet accueil.

— Nous sommes venus régler des comptes, dit-il sans hésiter.

— Quels ennemis des gens comme vous peuvent-ils avoir à Conyberry ? demanda la voix.

— Dans votre respectable village ? Aucun, répondit Drizzt, mais nous luttons contre le même ennemi que vous.

Un remue-ménage se fit entendre, puis deux hommes, arcs en main, apparurent au coin de la ferme. Drizzt et Wulfgar étaient tous les deux conscients que bien d’autres regards – et sans doute d’autres arcs – étaient fixés sur eux depuis le toit, et peut-être aussi depuis les côtés. Pour de simples paysans, ces gens semblaient savoir bien organiser leur défense.

— Un ennemi commun ? demanda l’un des hommes – celui qui les avait interpellés depuis le toit. Nous n’avons jamais vu un d’tes semblables par ici, l’elfe, pas plus qu’un géant comme ton ami !

Wulfgar décrocha Crocs de l’égide de son épaule, ce qui déclencha des murmures effrayés sur le toit.

— Nous ne sommes jamais venus dans votre bon village, répondit-il sévèrement, sans réagir au fait d’avoir été traité de géant.

— Un de nos amis a trouvé la mort non loin d’ici, sur un chemin sombre dans les bois, intervint aussitôt Drizzt. On nous a dit que vous nous y conduiriez.

C’est alors que la porte de l’habitation s’ouvrit brutalement, découvrant la tête d’une vieille femme ridée.

— Hé ! Qu’est-ce qu’vous voulez au fantôme de la forêt ? s’écria-t-elle, furieuse. Vous n’avez pas honte de déranger ceux qui la laissent en paix !

Drizzt et Wulfgar échangèrent un regard, étonnés par l’attitude de cette femme. L’homme apparu au coin semblait partager son avis.

— Ouais, laissez Agatha tranquille, dit-il.

— Partez ! ajouta un homme caché sur le toit.

Craignant que ces gens soient victimes de quelque enchantement démoniaque, Wulfgar resserra sa prise sur son marteau de guerre, alors que Drizzt détecta autre chose dans leurs voix.

— On m’a raconté que ce fantôme, cette Agatha, était un esprit maléfique, leur dit calmement l’elfe noir. Peut-être ai-je mal compris, pour que de braves gens la défendent ainsi ?

— Bah ! Maléfique ! Qu’est-ce qui est maléfique ? répliqua la vieille femme en approchant de Wulfgar son visage ridé et la carcasse qui lui servait de corps.

Le barbare recula prudemment d’un pas, bien que la forme voûtée atteigne à peine son nombril.

— Le fantôme défend sa maison, ajouta l’homme posté au coin de la ferme. Malheur à ceux qui s’rendent là-bas !

— Malheur ! cria la femme, qui s’était encore approchée, en posant un doigt osseux sur le torse du barbare.

Celui-ci en avait assez entendu.

— Arrière ! rugit-il avec force.

Il fit claquer Crocs de l’égide contre sa main libre, tandis que le sang gonflait ses bras et ses épaules.

La vieille femme hurla et disparut dans la ferme, terrifiée, après en avoir claqué la porte.

— Quel dommage…, murmura Drizzt, qui avait instantanément saisi ce que Wulfgar venait de déclencher.

Il plongea tête baissée sur le côté et effectua une roulade, lorsqu’une flèche fut tirée depuis le toit et se planta dans le sol, là où il se tenait l’instant d’avant.

Wulfgar aussi se mit en mouvement, s’attendant à recevoir une flèche. Au lieu de cela, il vit la silhouette sombre d’un homme sauter sur lui depuis le toit. D’une seule main, le colossal barbare attrapa l’agresseur en puissance au vol et l’immobilisa à près de un mètre du sol.

Au même moment, Drizzt achevait sa roulade et se rétablissait juste devant les deux hommes du coin de la ferme, et menaçait leur gorge de ses cimeterres. Ils n’avaient même pas eu le temps de tendre les cordes de leurs arcs. Ils furent alors horrifiés de découvrir la véritable nature de l’elfe. Mais, même si sa peau avait été aussi pâle que celle de ses cousins de la surface, le feu qui brûlait dans ses yeux leur aurait ôté toute volonté de combattre.

Quelques interminables secondes s’égrenèrent, durant lesquelles les seuls mouvements perceptibles furent les tremblements des trois fermiers piégés.

— Un regrettable malentendu, leur dit le drow, avant de reculer en rengainant ses armes. (Puis il s’adressa à Wulfgar.) Relâche-le. Doucement !

Le barbare déposa l’homme au sol, mais le fermier, terrifié, s’effondra tout de même, sans cesser de regarder avec effroi et stupeur le colosse, qui conservait son air mauvais, simplement pour le maintenir épouvanté.

La porte de la ferme s’ouvrit de nouveau et la vieille femme réapparut, arborant cette fois un air penaud.

— V’n’allez pas tuer la pauvre Agatha, tout de même ? implora-t-elle.

— Elle est inoffensive en dehors de chez elle, compléta le premier fermier, dont la voix tremblait à chaque syllabe.

Drizzt se tourna vers Wulfgar.

— Non, répondit celui-ci. Nous allons lui rendre visite et régler nos affaires avec elle, mais soyez certains que nous ne lui ferons aucun mal.

— Montrez-nous le chemin, demanda Drizzt.

Les deux hommes debout près du coin de l’habitation se concertèrent du regard et hésitèrent.

— Maintenant ! tonna Wulfgar en regardant le fermier au sol.

— Au bosquet de bouleaux ! répondit aussitôt ce dernier. Le chemin part de là, en direction de l’est ! Il est très sinueux, mais bien dégagé tout du long !

— Adieu, Conyberry, dit poliment Drizzt en s’inclinant. J’aurais souhaité demeurer un moment parmi vous afin de dissiper votre frayeur, mais nous avons beaucoup à faire et une longue route à parcourir.

Les deux amis remontèrent sur leurs selles et firent effectuer un demi-tour à leurs chevaux.

— Attendez ! cria alors la vieille femme. (Les montures des deux hommes se cabrèrent quand leurs cavaliers regardèrent en arrière.) Dites-nous, qu’vous soyez des guerriers sans peur ou stupides, qui êtes-vous ?

— Wulfgar, fils de Beornegar ! s’écria le barbare, qui désirait faire preuve de modestie, malgré son torse fièrement bombé. Et Drizzt Do’Urden !

— J’ai déjà entendu ces noms ! s’exclama l’un des fermiers, les reconnaissant soudain.

— Et vous les entendrez encore ! promit le barbare.

Il resta immobile quelques instants, tandis que Drizzt s’élançait, puis il fit demi-tour et rejoignit son ami.

Celui-ci se demandait s’il n’était pas imprudent d’avoir révélé leurs identités, et par conséquent l’endroit où ils se trouvaient, alors qu’Artémis Entreri les recherchait. Cependant, quand il vit le large sourire plein de fierté sur le visage de Wulfgar, il garda ses inquiétudes pour lui et laissa son compagnon savourer cet instant.

 

***

 

Lorsque les lumières de Conyberry ne furent plus que de simples points derrière eux, Wulfgar reprit son sérieux.

— Ils ne paraissaient pas possédés par le démon, dit-il. Ils protègent pourtant la banshee et l’ont même appelée par son nom ! Peut-être venons-nous de quitter un endroit voué aux ténèbres !

— Non, répondit Drizzt. Conyberry est exactement ce qu’il paraît être ; un humble village peuplé de fermiers bons et honnêtes.

— Mais Agatha…

— Cette campagne compte une centaine de villages semblables, dont beaucoup n’ont pas de nom, tous ignorés par les seigneurs de ces terres. Cela dit, tous ces villages, et même les Seigneurs d’Eauprofonde, je suppose, ont entendu parler de Conyberry et du fantôme du bois du Padhiver.

— Agatha leur assure une réputation, en conclut Wulfgar.

— Ainsi qu’une certaine protection, sans aucun doute.

— Quel bandit oserait emprunter la route de Conyberry alors qu’un fantôme hante la région ? ajouta le barbare en riant. Tout de même, quelle étrange alliance.

— Cela ne nous concerne pas, dit Drizzt en arrêtant son cheval. Voici le bosquet dont parlait le fermier.

Il désigna un taillis de bouleaux enchevêtrés, derrière lequel le bois du Padhiver se dressait, sombre et mystérieux.

— Nous approchons, nota le barbare en se laissant glisser de sa selle, tandis que sa monture couchait ses oreilles.

Ils attachèrent les chevaux et se dirigèrent vers les arbres. Drizzt était aussi silencieux qu’un chat, alors que Wulfgar, trop imposant pour ces végétaux resserrés, faisait craquer des branches à chaque pas.

— As-tu l’intention de tuer cette créature ? demanda-t-il au drow.

— Seulement si nous y sommes contraints. Nous ne sommes ici que pour récupérer le masque et nous avons donné notre parole aux habitants de Conyberry.

— J’imagine mal Agatha nous céder de son plein gré ses trésors, rappela Wulfgar.

Il franchit la dernière ligne de bouleaux et vint se poster à côté de Drizzt, devant l’entrée sombre qui conduisait sous les épais chênes de la forêt.

— Plus un mot, désormais, intima l’elfe noir dans un murmure.

Il dégaina Scintillante et laissa sa douce lueur bleutée les guider dans l’obscurité.

Les arbres semblaient se rapprocher d’eux, et le silence mortel du bois en comparaison rendait le bruit de leurs propres pas qui résonnait encore plus inquiétant. Drizzt lui-même, qui avait pourtant vécu des siècles dans les cavernes les plus profondes, ressentit sur ses épaules le poids de cette sinistre partie du bois du Padhiver. Le mal se nichait là et si lui ou Wulfgar avaient eu le moindre doute quant à la légende de la banshee, ils étaient désormais convaincus. Il sortit une fine bougie de la poche de sa ceinture, la brisa en deux et en tendit une moitié à son compagnon.

— Bouche-toi les oreilles, expliqua-t-il dans un souffle avant de rappeler l’avertissement de Malchor. Entendre sa mélopée est mortel.

Le chemin était aisé à suivre, en dépit de l’obscurité profonde, et de l’aura maléfique qui semblait peser plus lourd sur eux à chaque pas. Une centaine de mètres plus loin apparut la lueur d’un feu. Ils s’accroupirent tous deux instantanément en position défensive afin d’examiner la zone.

Devant eux s’élevait une construction en forme de dôme faite de branches, la hutte en bois qui était le repaire de la banshee. Son unique entrée, un trou étroit, semblait à peine suffisamment large pour permettre à un homme de se glisser en rampant. La perspective de s’introduire dans cet endroit éclairé à quatre pattes ne les enchantait guère, aussi Wulfgar s’empara-t-il de Crocs de l’égide et le plaça devant lui, indiquant qu’il comptait élargir l’ouverture. Puis il s’avança hardiment vers la tanière.

Drizzt le suivit, peu convaincu que cette idée soit réalisable. Il avait le sentiment qu’une créature ayant réussi à survivre si longtemps serait à l’abri d’une tactique aussi grossière. Comme il n’avait pas de meilleure suggestion pour le moment, il se contenta de s’écarter quand Wulfgar brandit son marteau de guerre au-dessus de sa tête.

Le barbare écarta les pieds pour assurer son équilibre et prit une profonde inspiration, puis il abattit Crocs de l’égide de toutes ses forces. Le dôme vibra sous le coup ; des morceaux de bois se brisèrent et volèrent en éclats. Mais l’inquiétude du drow s’intensifia. Alors que la carapace en bois cédait, le marteau de Wulfgar plongea dans un filet dissimulé. Avant que le barbare puisse retirer son arme, Crocs de l’égide et son bras étaient totalement emmêlés.

Drizzt vit alors une ombre se déplacer devant le feu qui brûlait à l’intérieur et, conscient de la vulnérabilité de son ami, il n’hésita pas une seconde. Il plongea entre les jambes de Wulfgar à l’intérieur du repaire, ses cimeterres mordant et piquant avec furie dans le mouvement. Scintillante s’enfonça dans quelque chose un court instant, une matière à peine palpable. L’elfe noir comprit qu’il venait de toucher la créature des enfers. Surpris par la soudaine clarté de la lumière quand il pénétra dans la tanière, il rencontra des difficultés pour se rétablir. Il parvint tout de même à suffisamment relever la tête pour s’apercevoir que la banshee s’était réfugiée dans l’ombre au fond de son antre. Il roula jusqu’à un mur, contre lequel il s’adossa pour se hisser tant bien que mal sur ses pieds, tout en tranchant adroitement avec Scintillante les liens qui entravaient Wulfgar.

C’est alors que s’éleva la plainte.

Elle s’insinua à travers la faible protection que constituait la cire de bougie avec une intensité à faire trembler les os, minant ainsi les forces des deux intrus et les recouvrant de ténèbres étourdissantes. Drizzt s’effondra lourdement contre le mur et Wulfgar, enfin capable de se libérer de ses filets, vacilla en arrière dans la nuit noire et s’écroula sur le dos.

Seul à l’intérieur, le drow se savait en grand danger. Luttant contre le vertige et contre un mal de tête lancinant, il tenta de se concentrer sur la lueur du feu.

Il vit une vingtaine de foyers danser devant lui, autant de lueurs dont il était incapable de se débarrasser. Persuadé d’avoir triomphé des effets de la mélopée, il lui fallut un moment pour se rendre compte de la nature exacte du lieu où il se trouvait.

La tanière d’Agatha était truffée de protections magiques consistant surtout en illusions optiques. Drizzt se trouva soudain confronté à plus de vingt exemplaires du visage déformé de la créature, à la peau flétrie et tendue, aux yeux dépourvus de couleur et sans la moindre étincelle de vie…

Toutefois, ces yeux y voyaient bien plus distinctement qu’aucuns autres dans ce labyrinthe trompeur. L’elfe comprit qu’Agatha savait exactement où il se tenait. Elle décrivit des cercles avec ses bras et eut un sourire narquois à l’intention de sa future victime.

Drizzt comprit qu’elle cherchait à lui jeter un sort. Toujours pris au piège de ses illusions optiques, il ne lui restait qu’une chance. Il fit appel aux aptitudes innées propres à sa sombre race, et disposa une sphère de ténèbres sur les flammes tout en espérant qu’il avait deviné quel était le feu authentique. L’intérieur de la caverne devint noir comme du charbon et Drizzt s’écroula sur le ventre.

Un éclair bleu déchira l’obscurité et frappa le mur, juste au-dessus du drow étendu. L’air grésilla autour de lui et les extrémités de ses cheveux de ce blanc si pur virevoltèrent.

Poursuivant sa course, l’éclair d’Agatha éclata dans la forêt et secoua Wulfgar qui sortit de sa stupeur.

— Drizzt, gémit-il en se forçant à se relever.

Son ami était probablement déjà mort et à l’intérieur de la hutte régnait une obscurité trop intense pour l’œil humain. Malgré tout, courageusement et sans se soucier de son propre salut, le barbare se dirigea d’un pas peu assuré vers le dôme.

Drizzt rampait sur le périmètre plongé dans les ténèbres en se servant de la chaleur du feu pour se guider. Il agitait son cimeterre devant lui à chaque pas mais ses coups ne rencontraient que le vide ou le mur de la hutte en bois.

Puis soudain la lumière réapparut et révéla sa position, au milieu du mur, à gauche de la porte. Et l’image d’Agatha, le regardant d’un air mauvais et préparant déjà un autre sort se réfléchissait tout autour de lui. L’elfe noir chercha autour de lui une issue pour s’échapper, quand il prit conscience que le monstre ne semblait pas le regarder.

À l’autre bout de la pièce, dans ce qui devait être un véritable miroir, il aperçut une autre image : celle de Wulfgar se glissant sans protection dans l’étroite ouverture.

Une fois encore, Drizzt ne put se permettre d’hésiter. Il avait commencé à comprendre l’agencement de ce dédale d’illusions, aussi parvint-il à deviner grossièrement où se trouvait la banshee. Il mit un genou au sol et ramassa une poignée de terre, qu’il lança à travers la pièce.

Toutes les images réagirent à l’identique, ce qui n’aida pas l’elfe noir à déterminer laquelle était son ennemi. Cependant, la véritable Agatha, où qu’elle soit, recracha de la poussière. Drizzt avait perturbé son sort.

Wulfgar se releva et lança aussitôt son marteau contre le mur à droite de l’entrée, puis inversa son geste et projeta Crocs de l’égide par-dessus le feu, sur l’image qui se tenait de l’autre côté de l’ouverture. L’arme s’écrasa une nouvelle fois contre la paroi, ouvrant une brèche sur la forêt nocturne.

Drizzt frappa en vain de son poignard une autre image, mais remarqua un vacillement révélateur dans la zone où il avait surpris le reflet de Wulfgar. Tandis que Crocs de l’égide retournait par magie entre les mains du barbare, le drow se rua à l’arrière de la pièce.

— Guide-moi ! cria-t-il en espérant que sa voix soit assez puissante pour que son ami l’entende.

Celui-ci comprit instantanément.

— Tempus ! beugla-t-il afin de prévenir Drizzt de son jet.

Puis il lança de nouveau Crocs de l’égide.

L’elfe noir plongea en roulade et le marteau passa en sifflant au-dessus de son dos avant de faire exploser le miroir. La moitié des images de la pièce disparurent, et Agatha hurla de rage. Drizzt ne ralentit pas et bondit par-dessus le support brisé du miroir et les éclats de verre.

Directement dans la salle au trésor du monstre.

Le cri de la banshee se mua en mélopée et les vagues sonores meurtrières déferlèrent une nouvelle fois sur les deux compagnons. Ils s’étaient heureusement attendus à cette attaque et furent donc en mesure de la repousser plus facilement. Drizzt se fraya un chemin vers les objets amassés, puis remplit un sac de bibelots et d’or. Wulfgar, enragé, se déchaînait contre le dôme en proie à une furie dévastatrice. Il ne resta bientôt plus que du petit bois là où s’étaient dressés des murs, tandis que des écorchures coulaient de minces filets de sang qui s’entrecroisaient sur ses énormes avant-bras. Malgré cela, le barbare ne ressentait aucune douleur, uniquement une fureur sauvage.

Son sac presque plein, Drizzt était sur le point de faire demi-tour et de prendre la fuite quand un autre objet attira son regard. Il avait presque été soulagé de ne pas le trouver et une part non négligeable de lui-même souhaitait qu’il ne soit pas ici, qu’il n’existe pas. Il était pourtant bien là, masque quelconque à l’aspect terne, muni d’une simple cordelette pour le maintenir sur le visage de celui qui le portait. Drizzt comprit qu’il s’agissait sans le moindre doute de l’objet dont lui avait parlé Malchor, et s’il avait encore l’intention de ne pas en tenir compte, elle disparut rapidement. Régis avait besoin de lui et pour le rejoindre au plus vite, il avait besoin de ce masque. Cependant, il ne put retenir un soupir quand il s’en empara et sentit son pouvoir frémissant. Sans y penser davantage, il le glissa dans le sac.

Agatha ne comptait pas abandonner si facilement ses trésors ; le spectre qui se présenta devant Drizzt quand il bondit de nouveau par-dessus le miroir brisé était on ne peut plus réel. Scintillante se mit à briller d’une lueur diabolique quand il para les coups frénétiques de la banshee.

Wulfgar songea que le drow avait à présent besoin de lui, aussi calma-t-il sa fureur, conscient que le sang-froid était indispensable dans cette situation difficile. Il examina soigneusement la pièce, prêt à lancer Crocs de l’égide, mais il se rendit compte qu’il ne s’était pas encore défait des illusions magiques. La confusion engendrée par une dizaine d’images, ainsi que la crainte de blesser Drizzt, le retinrent.

L’elfe noir dansait sans effort autour de la banshee rendue folle et la repoussait vers la salle du trésor. Il aurait pu la frapper à plusieurs reprises mais il avait donné sa parole aux fermiers de Conyberry.

Quand elle se trouva enfin à l’endroit souhaité, il brandit Scintillante et avança de deux pas. Tout en crachant et jurant, Agatha recula et trébucha contre le support brisé du miroir, avant de s’effondrer en arrière dans l’obscurité. Drizzt se tourna vers la porte.

Voyant la véritable Agatha, ainsi que ses doubles, disparaître de sa vue, Wulfgar suivit le son de ses grognements et retrouva enfin son chemin dans le dôme. Il tint Crocs de l’égide prêt pour le coup de grâce.

— Ça suffit ! lui cria Drizzt quand il s’approcha.

Il fit claquer le plat de la lame de Scintillante sur le dos de son ami afin de lui rappeler leur mission et leur promesse.

Le barbare le chercha du regard mais le drow agile était déjà ressorti dans la nuit sombre. Il se tourna ensuite vers Agatha, qui se relevait, montrant les dents et les poings serrés.

— Veuillez excuser notre intrusion, dit-il poliment en s’inclinant suffisamment bas pour rejoindre son compagnon en sécurité à l’extérieur.

Il regagna ensuite le sentier obscur en courant pour rattraper la lueur bleutée de Scintillante.

La troisième mélopée de la banshee s’éleva alors et les poursuivit sur le chemin. Drizzt se trouvait déjà hors de portée de son effet douloureux mais sa piqûre atteignit Wulfgar et lui fit perdre l’équilibre. Aveuglé, son sourire béat soudain envolé, il trébucha en avant sans s’arrêter.

Drizzt fit demi-tour pour tenter de l’arrêter mais le colosse renversa le drow et acheva sa course… la tête la première contre un arbre.

Alors que Drizzt ne s’était pas encore relevé pour l’aider, Wulfgar était de nouveau sur pieds et courait, trop effrayé et perturbé pour seulement songer à se plaindre.

Derrière eux, Agatha poussait désespérément sa plainte.

 

***

 

Quand la première des mélopées d’Agatha, portée par les vents de la nuit, atteignit Conyberry, les villageois surent que Drizzt et Wulfgar avaient trouvé son repaire. Tous, jusqu’aux enfants, s’étaient rassemblés à l’extérieur des habitations et avaient écouté attentivement les deux autres plaintes déferler dans l’air de la nuit. À présent, de façon étonnante, ils percevaient les cris pleins de tristesse de la banshee, qui ne cessaient pas.

— Bien fait pour ces étrangers ! gloussa un homme.

— Non, tu t’trompes, le reprit la vieille femme, qui avait perçu le léger changement dans la voix d’Agatha. C’sont des pleurs d’défaite. Ils l’ont battue ! Et ils sont partis !

Les autres, assis dans le calme, analysaient les cris d’Agatha et se rendirent vite compte de la justesse des affirmations de la vieille femme. Ils échangèrent des regards incrédules.

— Comment ont-ils dit qu’ils s’appelaient ? demanda un homme.

— Wulfgar, répondit un autre. Et Drizzt Do’Urden. J’ai d’jà entendu parler d’eux.

Le Joyau du Halfelin
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